Sophie Boss

Photographe bénévole pour l’association Souvenange

Bonjour Sophie. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur votre engagement lié à la mort ?

Je suis depuis 2018 photographe bénévole pour l’association Souvenange sur le secteur de Strasbourg. Chaque année le deuil périnatal concerne 7000 familles et les parents n’ont après cette épreuve qu’un prénom ou un petit bracelet comme souvenir éternel de leur petit. Souvenange est là pour offrir un souvenir photographique et comme l’a si bien exprimé Hélène Delarbre, la fondatrice de l’association, « nous ne photographions pas la mort, nous immortalisons l’amour ».

Qu’est-ce qui vous a amené à votre engagement ?

J’ai découvert cette association par ma belle-sœur, qui est sage-femme dans un premier temps, mais qui a surtout eu elle-même la douleur de perdre une petite fille. Elle a découvert cette association bien après cette épreuve et m’a envoyé le lien de Souvenange pour information, étant donné que je suis photographe et que c’est un travail photographique encore extrêmement tabou. J’ai été sidérée par l’engagement extraordinaire de tous ces bénévoles, la nécessité pour certains parents de ce genre d’actions dans l’accompagnement de leur deuil m’a frappée en plein cœur. Je n’ai pas hésité longtemps avant de contacter la fondatrice de cette association pour me présenter en tant que bénévole. Une formation et une sensibilisation au deuil périnatal a ensuite eu lieu ; immédiatement la bienveillance des personnes formatrices m’a mise en confiance et je ne me suis jamais sentie seule ou avec des questionnements sans réponses, y compris lors de mon premier accompagnement en clinique.

Quel est votre rôle avant, pendant, ou après le décès du bébé ?

Notre rôle ne va pas véritablement se définir en termes d’obsèques. Souvenange est souvent déjà en relation avec les parents alors que le bébé est encore blotti dans le ventre de sa maman, le ou la photographe concerné(e) est donc la plupart du temps déjà présent quelques jours avant que le décès et l’accouchement n’aient lieu. C’est donc un travail délicat de préparation, de rassurer les parents sur cette démarche photographique, nous allons également contacter la clinique ou l’hôpital afin de prévenir de notre présence et les informer du déroulement de la séance photo, une fois de plus c’est une démarche encore très méconnue qu’il convient d’expliquer. En premier lieu les gens sont toujours interloqués, mais lorsque l’on prend le temps de montrer à quel point cela peut être bénéfique et aider au processus de deuil de la famille alors l’interrogation laisse généralement place naturellement à la compréhension.

Ensuite le jour où les parents doivent affronter ce deuil nous sommes là de manière très concrète, derrière notre appareil photo, avec la mission d’immortaliser chaque détail de cet enfant. Les petits plis sous le pied, les petites oreilles, ce joli duvet sur le visage, avec le doudou que le grand frère ou la grande sœur a donné pour qu’il ne parte pas seul, ou avec le bonnet que sa mamie lui a tricoté… nous faisons des photos de tous ces détails qui s’étioleront de la mémoire avec le temps. Nous prenons également s’ils le souhaitent les parents en photo avec leur enfant.

Lorsque nous avons fini notre mission sur place nous retravaillons sur ces photos, le but n’étant pas de gommer la mort, cela ne serait d’aucune aide pour les parents, non notre but est d’adoucir et de retirer les traces cliniques trop évidentes qui rendraient ces images difficilement montrables à la famille. Une fois qu’elles sont prêtes nous les envoyons pour l’impression sur papier au laboratoire partenaire, elles nous sont ensuite retournées et il nous reste à placer ces clichés dans un petit coffret avec une clé USB et à les remettre ou les envoyer aux parents.

Certains parents veulent voir les images dans les semaines qui suivent, d’autres n’ont pas encore la force de les regarder, mais elles sont là. Ce sont des images qui peuvent être utilisées aux funérailles par exemple, puis se retrouver sous un cadre, dans une boîte à l’abri, dans un portefeuille, ou qui seront montrées aux frères et sœurs présents et futurs. Qu’elles soient regardées, montrées ou non, le principal est qu’elles soient là.

Qu'est-ce qui est essentiel pour vous dans ce que vous faites et que vous pouvez apporter ?

Les quelques fois où j’ai dû intervenir ou retoucher des images je me suis toujours dit que je faisais partie des rares personnes à avoir croisé leur chemin, c’est un privilège de pouvoir dire « oui cet enfant est ancré dans la réalité, ses parents débordent d’amour pour lui et j’en ai été témoin ». De savoir que les images que j’ai faites vont aider à garder ces bébés dans les mémoires me remplit de sérénité. J’ai grandi en voyant ma grand-mère regarder depuis son lit un joli portrait de son bébé, tragiquement décédé à 9 mois. Cela m’a aidée à réaliser qu’on ne peut pas nier ces bébés, on ne peut pas chercher à étouffer les sentiments de parents pour un enfant qui est certes invisible aux yeux de la société mais qui a été une réalité pour eux.

POUR FINIR, QUELQUES MOTS POUR RÉSUMER VOTRE MÉTIER…

Bienveillance, douceur, éternité, amour…

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